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Moi, Fadi le frère volé - Riad Sattouf

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Avec Moi, Fadi, le frère volé, Riad Sattouf inaugure un projet aussi intime que singulier : raconter non pas sa propre enfance, comme dans L’Arabe du futur, mais celle de son demi-frère cadet, Fadi, qu’il retrouve après plus de vingt ans de séparation. Ce premier volume s’appuie sur les souvenirs de Fadi, reconstruits à partir de longues heures d’échange, pour retracer une trajectoire bouleversante : celle d’un petit garçon né en Bretagne, qui grandit paisiblement aux côtés de sa mère, avant d’être enlevé par son père et emmené de force en Syrie au début des années 1990.

Moi, Fadi le frère volé - Riad Sattouf

Le livre adopte le regard de Fadi enfant, avec tout ce qu’il comporte de naïveté, de clarté émotionnelle et de confusion face à ce qui le dépasse. Le récit s’ouvre sur une atmosphère douce, lumineuse, où l’on ressent le bonheur d’un quotidien stable, affectueux. Mais cette insouciance se fissure peu à peu, jusqu’au moment brutal de la rupture, quand son père l’embarque sans retour. L’album ne cherche pas à produire un effet spectaculaire : au contraire, c’est la banalité apparente de ce drame qui le rend profondément marquant.

Le dessin, fidèle au style de Sattouf, met en valeur les émotions par un usage très expressif de la couleur. Le jaune rassurant du début laisse progressivement place à des teintes plus froides, jusqu’au rouge sombre qui domine les scènes syriennes, suggérant la perte de repères, la peur, l’isolement. Cette évolution graphique accompagne la métamorphose intérieure de Fadi, qui doit s’adapter à une langue, une culture, un pays et un père qu’il ne comprend pas.

Le portrait du père est particulièrement fort : complexe, ambivalent, il agit avec une autorité inflexible, convaincu d’agir pour le bien de son fils. Mais sous ce masque de conviction se dessine une figure étouffante, incapable d’amour véritable, et souvent destructrice. Le récit ne le diabolise pas, mais met en lumière un comportement où l’idéologie et la volonté de contrôle prennent le pas sur le respect de l’enfant.

Ce qui rend cet album si touchant, c’est la voix de Fadi elle-même — une voix d’enfant, certes, mais habitée par une lucidité inattendue. Ce qu’il vit, il ne le comprend pas toujours sur le moment, mais il l’enregistre, le ressent, le porte avec lui. Il perd sa langue maternelle, sa mère, ses repères. Pourtant, sa mémoire résiste. Et à travers ce livre, elle trouve enfin un espace pour s’exprimer.

Moi, Fadi, le frère volé est bien plus qu’un simple prolongement de L’Arabe du futur. C’est une œuvre autonome, profondément humaine, qui questionne les liens familiaux, les déracinements forcés, et la façon dont les enfants portent le poids des décisions des adultes. Avec délicatesse et justesse, Riad Sattouf livre ici une bande dessinée poignante, traversée par la tendresse, la douleur, et la volonté de ne pas oublier.

Chronique ajoutée ce 14 juin 2025 à 15h06

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